L’entretien utilisateur est une méthode clé en UX Research pour comprendre les besoins, attentes et comportements des utilisateurs. Il permet de concevoir des produits plus adaptés et de prendre des décisions stratégiques basées sur des insights concrets. Il s’agit d’une méthodologie qui génère des données qualitatives, c’est-à-dire des données basées sur du déclaratif (avis, opinion…), et qui peut se faire tout au long de la vie du produit : avant, pendant et après la conception.
Dans cet article, nous allons voir ce qu’est un entretien utilisateur, ses avantages et inconvénients, comment le préparer, l’analyser et enfin, en restituer les résultats. Cet article s’adresse aux designers, Product Managers et toute personne souhaitant mener des entretiens utilisateurs, même sans être UX Researcher.
1. Avant-propos
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je vous propose de poser ensemble quelques définitions :
- UX Researcher : l’UX Research est une spécialité de l’UX Design. Pour concevoir des parcours utilisateurs pertinents et adaptés, l'UX Designer a besoin de connaître les besoins, attentes et problématiques des utilisateurs. Il pourra faire appel à un UX Researcher, ou endosser lui-même ce rôle et faire toute la démarche de recherche en amont, en utilisant la méthodologie des entretiens utilisateurs par exemple. Dans certains cas, s’il n’y a pas d’UX Designer ou d’UX Researcher dans l’équipe, ce sont les Product Owners qui endossent ce rôle. Dans cet article, nous parlerons de l’UX Researcher pour désigner la personne qui fait la recherche.
- Insight : l'insight est ce qui ressort de l’analyse de la recherche. Sans cette analyse, la recherche ne rendrait pas le service attendu. En comprenant et en exploitant un problème, un comportement ou un besoin utilisateur lors de l’analyse, on ressort un insight. Il ne s’agit pas d’une simple observation ou d’une donnée brute, mais une véritable opportunité d’amélioration pour le produit. Il doit être basé sur des faits, pertinent et donc lié aux objectifs du produit, et actionnable afin de mener à une amélioration complète. C’est la clé pour transformer une donnée en décision stratégique pour l’UX et le produit.
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2. Qu'est-ce qu'un entretien utilisateur ?
Un entretien utilisateur est une discussion entre un UX Researcher et un utilisateur cible. Il est important que l’entretien se déroule entre deux personnes afin de créer une discussion et un échange fluide et confortable entre les deux interlocuteurs. Il est possible que l’UX Researcher fasse appel à un ou plusieurs de ses collègues pour faciliter la prise de notes, mais il est préférable qu’il n’y ait pas plusieurs utilisateurs en même temps (dans le cadre de cette méthodologie). Il s’agit d’une méthodologie modérée, c’est-à-dire que l’UX Researcher doit être présent durant l’entretien.
Son objectif est de recueillir des données qualitatives (données basées sur des mots et non des chiffres), en explorant les motivations, besoins, frustrations, expériences et habitudes des utilisateurs. Cela peut également permettre de trouver de nouvelles opportunités et de recadrer le projet en fonction des besoins.
Les entretiens se font en petite quantité, puisque ce n’est pas une méthodologie quantitative. En général, on conseille 3 participants par profil recruté. En réalité, ce sont le budget et le temps qui déterminent le nombre d’entretiens qui vont être réalisés. En effet, il n’y a pas de nombre magique. Étant donné que la recherche a lieu tout au long du processus de conception, le nombre de participants augmente au fur et à mesure de la vie du projet.
Il existe 2 types d’entretiens :
- En présentiel, dans les locaux de l’entreprise :
- Avantages : Interaction plus humaine, meilleur échange.
- Inconvénients : Déplacement nécessaire, contraintes logistiques (notamment pour la qualité du son si enregistrement vidéo ou vocal).
- À distance, en visioconférence via un outil en ligne :
- Avantages : Plus flexible, accessible à des utilisateurs éloignés.
Cela peut également permettre aux parties prenantes d’assister aux entretiens dans une autre salle. - Inconvénients : Risque de problèmes techniques (connexion, micro).
- Avantages : Plus flexible, accessible à des utilisateurs éloignés.
L’entretien utilisateur permet de recueillir des insights riches et qualitatifs qui octroient une compréhension en profondeur des besoins et attentes. Le fait d’être en lien direct avec l’utilisateur permet également de recueillir des informations via les expressions et les émotions (non verbal).
Pour autant, il faut être attentif aux biais possibles*, et cela représente un coût pour recruter, conduire et analyser les entretiens. Il ne faut pas oublier non plus que les humains ne se souviennent que partiellement des faits, et qu’il y a parfois des différences entre ce que disent les utilisateurs et ce qu’ils font réellement. Enfin, certains utilisateurs sont peu loquaces et il peut être difficile d’obtenir les informations nécessaires.
L'entretien utilisateur est donc une méthodologie très intéressante pour la compréhension profonde des utilisateurs qu'elle permet, et dont il faut défendre l'intérêt. Pour autant, il est important de bien se préparer et d'y être formé.
Néanmoins, l’entretien utilisateur est rarement la seule méthodologie lors de la phase d’UX Research. Cette méthodologie est souvent complétée avec d'autres méthodologies qualitatives, mais aussi des méthodologies quantitatives (qui génèrent des données chiffrées). Les méthodologies qualitatives permettront d'avoir une compréhension encore plus fine des besoins, tandis que les méthodologies quantitatives permettront de mieux prioriser les fonctionnalités à travailler.
Biais cognitifs : si le sujet vous intéresse, je vous invite à lire des articles sur le biais cognitifs. C’est un gros sujet que je n’aborderai pas en détail ici, puisqu’il pourrait mériter un article entier.
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3. Quand faire des entretiens utilisateurs ?
Que l’on soit clair : les entretiens utilisateurs apportent des informations précieuses, et ils sont pertinents tout au long du projet et du cycle de conception. Plus on a d’informations sur nos utilisateurs, plus on est capables de connaître précisément leurs problématiques et leurs besoins et d’y trouver des solutions.
Pour autant, les entretiens peuvent être particulièrement pertinents lors de certaines phases :
- Avant conception : vous travaillez sur un nouveau projet qui part de 0, et vous avez besoin d’identifier les problèmes et besoins des utilisateurs pour déterminer si le projet est pertinent, et s’il apportera de la valeur à l’utilisateur. Cela peut également permettre de mieux comprendre le marché.
- Pendant la conception : ce n’est pas parce que nous sommes déjà en train de concevoir une première version que nous ne pouvons pas anticiper des opportunités d’innovation. Ces entretiens peuvent également permettre d’affiner les parcours et de vérifier nos hypothèses.
- Après la conception : pour identifier les améliorations après le lancement d’un produit et l’optimiser en fonction des besoins. Il est même possible de faire des entretiens après des tests utilisateurs, ou de poser des questions pendant les tests utilisateurs, afin d’approfondir la compréhension des besoins et de s’assurer que le concept de base est pertinent.
💡 Astuce UX : Mieux vaut ajuster son concept en amont grâce aux entretiens utilisateurs que de devoir tout repenser après un test utilisateur raté.
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4. Comment faire des entretiens utilisateurs ?
Il est important de préparer ses entretiens utilisateurs afin de les structurer. L’entretien a beau être une discussion entre deux personnes, c’est une méthodologie qui doit permettre à l’UX Researcher d’obtenir les réponses souhaitées.
Il y a plusieurs étapes :
- Définir des objectifs précis : soit l’UX Researcher a déjà des idées claires de ce qu’il attend, soit il peut demander aux parties prenantes ce qu’ils veulent faire, ou encore les décisions qu’ils souhaitent prendre grâce à ces entretiens. Cela peut être de comprendre leur rôle et leurs parcours, récolter les besoins ou les irritants par exemple, ou encore de valider une ou plusieurs hypothèses.
- Recruter les participants : définir les critères de recrutement afin de sélectionner des utilisateurs représentatifs de la cible. Cela peut être des critères d’inclusion ou d’exclusion : quels utilisateurs nous voulons inclure (profils représentatifs du marché par exemple), et ceux que nous voulons exclure (trop éloignés du produit par exemple). Il est possible de s’appuyer sur le marketing pour trouver les utilisateurs pertinents. Les critères de recrutement ne sont pas forcément liés au genre ou à l’âge, mais peuvent également être tournés autour de la maturité numérique par exemple, ou encore des comportements et motivations. Bonne pratique : recruter 3 à 5 utilisateurs par profil pour identifier des tendances.
- Préparer un guide d’entretien : le guide d’entretien est un fil conducteur, mais doit rester flexible. L’UX Researcher peut passer certaines questions qui ne sont pas prioritaires.
- Réaliser les entretiens : l’entretien dure 60 minutes en général, mais il est préconisé de prévoir un peu plus de temps, 30 minutes en plus par exemple. Cela permet d’avoir le temps de gérer les problèmes éventuels, notamment pour les entretiens à distance avec le matériel. Il faut également faire attention à respecter le temps alloué.
- Analyser les entretiens : l’analyse peut se dérouler de plusieurs façons. Il est possible de revoir les enregistrements afin de prendre des notes si vous n’en avez pas pris directement durant les entretiens. Le but de l’analyse sera de déterminer les tendances récurrentes, qui pourront être rassemblées en “key learnings” (apprentissages majeurs) et en “key insights” (les constats faits suite à des informations données par les utilisateurs). Il ne faut pas non plus oublier de noter les verbatims, c’est-à-dire les citations des utilisateurs, et les observations. Il est possible de catégoriser les insights selon qu’ils soient liés aux frustrations, motivations ou besoins.
- Restituer les résultats : pour mettre en valeur les problèmes principaux et les insights clés. La restitution peut prendre plusieurs formes, d’une présentation “classique” à un persona ou une experience map qui matérialise le parcours utilisateur par exemple. Les recommandations de l’UX Researcher pour résoudre les problématiques peuvent être pertinentes, ou être travaillées avec l’équipe. Il est important de mettre des verbatims (citations utilisateurs) anonymisés lors des restitutions et des extraits audio lors de la restitution, afin d’appuyer les conclusions et de rendre les besoins et frustrations des utilisateurs plus tangibles pour l’équipe Produit. En effet, un insight seul peut sembler abstrait ou trop général. En l’illustrant avec une citation exacte d’un utilisateur (verbatim) ou un extrait audio, il devient beaucoup plus percutant et crédible, et il humanise la donnée.
Focus sur le guide d'entretien :
Entrons davantage dans le sujet du guide d’entretien.
En général, je le structure comme suit :
- Introduction :
- J’explique la méthodologie, et j’informe l’utilisateur qu’il n’est pas obligé de répondre à certaines questions si elles le gênent.
- Je l’informe des étapes par lesquelles nous allons passer.
- Je demande son accord pour enregistrer la session. Je précise que je serai la seule à visionner l’enregistrement, et que je le supprimerai dès que j’aurai fini d’analyser les informations. L’enregistrement me permet d’être plus concentrée sur ce qu’il me dit, puisque je n’ai pas besoin de prendre des notes, mais également pour analyser le non-verbal. C’est aussi utile pour ressortir les verbatims, c’est-à-dire les citations exactes prononcées par l’utilisateur.
- Je me présente pour qu’il sache qui je suis, ce que je fais, et pour qui je travaille.
- Je demande à l’utilisateur de se présenter avec quelques questions d’introduction, d’abord très générales puis de plus en plus en lien avec le sujet de l’entretien.
- Questions :
- Je rédige des questions en prenant appui sur les objectifs que j’ai définis plus tôt. Mes questions sont ouvertes, c’est-à-dire des questions auxquelles on ne peut pas répondre par “oui” ou par “non”. Ces questions commencent souvent par “où”, “quand”, “comment”, “quoi” ou “pourquoi”.
- Je sépare mes questions en plusieurs catégories :
- Expériences vécues : pour comprendre ce que fait l’utilisateur, quels sont ses comportements. Par exemple : “Racontez-moi la dernière fois que vous avez utilisé [Produit] : comment ça s’est passé, qu’avez-vous fait, qu’avez-vous ressenti… ?”
- Perception de l’utilisateur : pour savoir quelles sont les opinions de l’utilisateur sur le sujet, ce qu’il pense. Par exemple : “Que pensez-vous de [Produit / Situation] ?”
- Irritants, contraintes et difficultés : pour connaître ce qui le frustre, là où il y a un problème. Par exemple : “Pouvez-vous me raconter une expérience récente où vous avez utilisé [Produit / Service similaire] ? Qu’est-ce qui a bien fonctionné, et qu’est-ce qui a été le plus difficile ou frustrant pour vous ?”
- Besoins : pour comprendre ce qui le motive. Par exemple : “Pouvez-vous me décrire une situation récente où vous avez dû [Réaliser une tâche / Atteindre un objectif en lien avec le produit] ? Comment vous y êtes-vous pris ? Quels défis avez-vous rencontré ?”
- Attentes : pour savoir ce qu’il souhaite. Par exemple : “Si vous pouviez imaginer une solution idéale pour [Produit / Service similaire], à quoi ressemblerait-elle ? Qu’est-ce qui serait important pour vous ?”
- Contextes d’usages potentiels : pour déterminer de quelle manière l’utilisateur pourrait utiliser le produit ou le service. Par exemple : “Pouvez-vous me raconter une situation récente où vous auriez eu besoin de [Fonctionnalité / Service] ? Où étiez-vous ? Sur quel appareil ? Dans quel contexte cela s’est-il présenté ?”
- Pour chaque question, il peut être intéressant de noter le type d’informations qu’on cherche à récolter.
- Faites attention à ne pas biaiser l’utilisateur avec des exemples. Si l’utilisateur ne comprend pas, l’UX Researcher pourra reformuler.
- Étant donné que certains utilisateurs sont très bavards, il est important de prioriser les questions. Ces questions seront celles qui permettent d’atteindre l’objectif que l’UX Researcher a fixé, et qui donneront les réponses les plus pertinentes pour la suite.
- Il est primordial de laisser l’utilisateur s’exprimer : il faut éviter de le couper pour le laisser finir de décrire ce qu’il a en tête. Et il faut laisser de la place pour les questions spontanées en réaction avec ce que vient de dire l’utilisateur.
- Prévoir des relances : des silences, reformuler, demander ce que l’utilisateur veut dire par là, ce qu’il en pense, répéter ce qu’il vient de dire, …
- Conclusion :
- Résumer les grandes idées de ce qui a été dit durant l’entretien.
- Remercier le participant pour toutes les informations qu’il a donné, et pour le temps qu’il a accordé à l’UX Researcher et au projet.
- Demander si l’utilisateur souhaite être recontacté lors des prochaines étapes, pour des tests utilisateurs par exemple.
- Si une rémunération a été prévue pour récompenser l’utilisateur, c’est le bon moment pour le lui annoncer et lui donner les modalités pour profiter de sa récompense. Par exemple : un email arrivera dans les 5 prochains jours avec une carte cadeau d’une enseigne d’une valeur de 50€.
Testez votre guide d’entretiens avant vos entretiens utilisateurs. Cela vous permettra d’être certain que les 60 minutes de l’entretien seront suffisantes, de vous assurer qu’il ne manque pas de questions, et de prioriser les questions.
La posture de l’UX Researcher est très importante, puisqu’il doit faire preuve d’empathie, c’est-à-dire essayer de comprendre ce qui est ressenti et éprouvé par l’utilisateur. Il ne doit pas conseiller, juger, aider, réconforter, donner son opinion ou interpréter les paroles de l’utilisateur. S’il pense ne pas avoir compris ce que voulait dire l’utilisateur, il est approprié de reformuler la réponse de l’utilisateur.
5. Conclusion
Je suis intimement convaincue de l’efficacité des entretiens utilisateurs. Ils fournissent une meilleure compréhension des besoins, attentes et problèmes des utilisateurs, et ils permettent d’aligner l’équipe Produit sur la stratégie à adopter pour y trouver des solutions appropriées.
Comme nous l'avons vu, pour réaliser des entretiens utilisateurs, il faut :
- Préparer un guide structuré avec des objectifs clairs.
- Recruter des utilisateurs pertinents.
- Écouter activement les utilisateurs et enregistrer les sessions pour ne rien oublier, et pouvoir ressortir les verbatims plus facilement.
- Ressortir les besoins et problèmes récurrents.
- Restituer à l’équipe et aux parties prenantes les insights actionnables pour guider les décisions produit.
Bien menés, les entretiens permettent d’améliorer l’expérience utilisateur et l’impact business du produit.
Les entretiens sont néanmoins à compléter avec d’autres méthodologies, et notamment des méthodologies quantitatives afin d’avoir des données chiffrées et d’affiner les priorités. Je vous conseille de parcourir cet article afin d’en savoir plus sur les méthodologies qualitatives et quantitatives, et d’avoir des exemples concrets.
Sources et ressources :
- Userinterviews.com;
- ChatGPT:
- Article complémentaire sur la Research : Product Design Process;
- Quantitative VS Qualitative : quelle approche adopter en Recherche Utilisateur ?;
- Template d’entretiens utilisateurs.