Cet été, la recommandation de la Cour des comptes visant à réduire de manière significative le cheptel bovin a relancé le débat autour de la souveraineté alimentaire. Cette mesure, dont l'objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, soulève des questions cruciales quant à notre capacité à gérer les nouveaux enjeux de l'alimentation mondiale. Pourtant, la nourriture a toujours été au centre des débats, en témoigne la très célèbre pyramide de Maslow¹, sans doute la première infographie que nous avons retenue et utilisée comme preuve de notre connaissance de l'économie sociale. Pour rappel, on retrouve à la base, les besoins physiologiques : dormir, se nourrir, boire, se vêtir... Or, si se nourrir nous paraît aujourd’hui être un besoin aisément satiable, de nombreux organismes d’état, ONG ou think tanks², pointent le risque d’une crise de la faim dans plusieurs pays et rappellent au monde que la lutte contre le réchauffement climatique, les crises alimentaires, les catastrophes naturelles et autres joyeusetés sont souvent liées et qu’il est nécessaire d’opter pour une approche systémique et globale afin d’y faire face.
La France, premier producteur agricole d’Europe, à l’origine de la PAC, est un pays qui semble mesurer l’urgence de mettre en place, dès aujourd’hui, les moyens d’une souveraineté alimentaire capable de s’adapter aux changements climatiques en cours³. Cette tendance à reprendre la main de bout en bout sur certaines chaînes de production s’est renforcée avec la crise COVID. La globalisation, consistant à faire réaliser un produit aux quatre coins du monde à moindre coût, dominait mais a laissé place à la régionalisation. Un pays produit un bien pour tous les autres et se spécialise. Avec les accords du libre-échange et la paix durable, le système était fait pour durer et apporter de nombreux bénéfices. Les tensions géopolitiques vives et les retournements d’alliance des partenaires économiques en situation de crise, ramènent la notion de souveraineté sur le devant de la scène. Souveraineté dans le cloud pour tenter de contrer l’hégémonie des fournisseurs américains ou chinois. Souveraineté dans l’accès à l’espace, dans la défense, en physique quantique, dans l’intelligence artificielle… et dans l’alimentation. La guerre en Ukraine, en impactant les cours des matières premières, est venue rappeler à quel point cette dernière souveraineté était cruciale. Pour retrouver une indépendance alimentaire et faire face à ce changement de paradigme et aux nouveaux enjeux de l’agriculture, l’innovation est sans doute l’un des leviers les plus efficaces.
Les enjeux environnementaux en lien avec l’agriculture sont nombreux : utilisation de l’eau, préservation de la biodiversité, sobriété énergétique, préservation des sols, amélioration des rendements en limitant l’utilisation de produits phytosanitaires, etc. Vous retrouverez une liste détaillée de ces enjeux sur le site du Ministère de l’Agriculture… et de la souveraineté alimentaire ici. Pour y faire face, des enveloppes budgétaires - en France et ailleurs - sont débloquées pour accompagner les agriculteurs dans l’acquisition de nouvelles machines, pour changer leurs pratiques, revoir leurs modèles économiques. Si cette aide étatique est appréciée et appréciable, l’innovation technologique n’en reste pas moins le levier le plus efficace. C’est ce que croient de nombreux entrepreneurs et investisseurs qui travaillent sur des concepts nouveaux en phase avec leurs convictions. Parmi les projets qui fleurissent un peu partout dans le monde, de New York à Sydney, l’un d'entre eux est français : Jungle. Cette société fait le pari des fermes verticales. Alignés les uns aux dessus des autres, les plateaux reçoivent automatiquement l’eau, la lumière, les nutriments et le suivi nécessaire pour faire pousser la plante en un délai record. Une emprise au sol de quelques centaines de mètres carrés arrive ainsi à produire plus proprement et écologiquement, que plusieurs hectares de culture traditionnelle. Enfin, en cette période de sécheresse, le fait de consommer 98% de moins d’eau, et de le faire au plus proche des consommateurs est une innovation qui fait du bien à la planète. De même, l'entreprise Futura Gaïa, fait pousser des salades - mais pas seulement - dans d'immenses cylindres en rotation autour de lampes. On retrouve l’univers de Star Wars à travers ces technologies. Les Echos Week-end consacrent d’ailleurs plusieurs pages à présenter “le nouvel âge vert”, au travers d’une dizaine de startups qui portent des innovations et projets susceptibles d’impacter positivement notre monde. Parmi ces projets marquants, citons Global Bioenergie qui fournit, aux industriels de la cosmétique, des composants constitués à base de plantes et non plus de pétrole.
A ces innovations technologiques de production, l’utilisation de la data ou de l’intelligence artificielle viennent apporter aux agriculteurs, désireux de faire autrement, des solutions efficaces pour mieux sélectionner les semis, planter, arroser, traiter, récolter, etc. Le développement de nouvelles fermes plus proches du consommateur, moins grandes mais parfaitement optimisées comme celle des Gogottes que lance Julien FAVRY, maraîcher « new tech » après quelques années passées dans le consulting, est un exemple parmi d’autres.
Plus que jamais, nous vivons dans un monde en pleine mutation. L’agriculture pourrait redevenir centrale comme au début du siècle dernier et retrouver ainsi toute sa noblesse. L’innovation sera, une fois encore, le meilleur levier pour accompagner cette transition. Comment les acteurs de la tech contribueront à résoudre ces enjeux majeurs qui sont déjà jugés par tous comme essentiels ? et les acteurs issus de la tech pourront apporter leur valeur ajoutée sur des sujets jugés par tous, essentiels.
¹ Cette pyramide réalisée dans les années 40 par le psychologue Abraham MASLOW hiérarchise les besoins en cinq niveaux.
²Rapport Annuel de la FAO sur "L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde" , Juillet 2022 https://www.fao.org/newsroom/detail/un-report-global-hunger-SOFI-2022-FAO/fr
³Plan destiné à « reconquérir » la souveraineté de la France en fruits et légumes en Mars 2023 https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/fruits-et-legumes-le-plan-de-letat-pour-reduire-la-dependance-aux-importations-1911112
