Vers une économie plus éthique ? (Episode 2)

La magie opère dans l’entreprise

Les comportements de plus en plus responsables de l’homme font bouger les entreprises dans leurs postures, voire leurs valeurs. Comment cela s’exerce t-il ?

L’ÉCONOMIE DU SENS, ÉCONOMIE TRANSFORMATIVE : MAIS ENCORE …?

Jusqu’à présent l’économie matérielle (agraire, industrielle et de service) ainsi que l’économie relationnelle (expérientielle) étaient au service du progrès global. L’économie du sens, quant à elle, crée la motivation pour l’homme. Désormais en quête de sens vis- vis de notre consommation, nous sommes vigilants à la posture sociale, la responsabilité écologique et sociétale des entreprises ainsi qu’à l’éthique.

Cela induit donc un nouveau mode d’expérience, une expérience de la transformation de soi, dans le sens où elle doit induire une transformation physique ou mentale. Nous souhaitons que cette expérience nous touche dans notre vécu afin de mieux pouvoir nous transformer.

Si on veut qualifier cette économie du sens, on peut indiquer que l’on se focalise plus sur l’émancipation et le développement de l’humanité. Ainsi, on passe des 3 indicateurs très autocentrés d’une expérience réussie « Émotion », « Souvenir », « Personnalisation » aux 3 critères qualifiant l’économie du sens que sont :

  • Le bien-être produit
  • La création de liens sociaux pour aller vers plus de partage mais à l’échelle de la planète
  • Le respect de l’environnement et un mode de développement durable

C’est l’adressage réussi de ces 3 critères qui fait qu’une expérience est enrichissante et transformative, dans le sens où elle nous fait évoluer. Nous voulons nous affirmer dans ce que nous sommes et en responsabilité pour contribuer au « mieux-être » et au progrès de l’humanité.

L’économie du sens, cette économie transformative est une nouvelle ère qui engendre de nouveaux modes de consommation et de facto de nouveaux modes de production, mais aussi une volonté de restaurer le sens du travail et donc des changements potentiellement profonds dans l’entreprise.

PRODUIRE DU SENS DANS L’ENTREPRISE, C’EST-À-DIRE ?

Changement profond pour l’entreprise, cela peut impliquer d’évaluer comment concilier production de sens et production économique, comment concilier relations sociales et réalités économiques, comment concilier ce besoin de compétitivité des organisations qui nécessite une forte implication des salariés et leur besoin de donner sens à leur travail. Plus concrètement, j’ai pu observer des mouvements dans certaines entreprises qui amènent plusieurs niveaux de réflexion :

  • Niveau 1 — Éveiller les consciences : Pour une entreprise, l’éveil des consciences et la sensibilisation passe par la capacité de ses dirigeants à dépasser la seule économie matérielle et oser exprimer leurs convictions, leur vision du monde. Cette exemplarité constitue un premier niveau d’impact pour les salariés.
  • Niveau 2 — Permettre l’expression : L’enjeu suivant pour une organisation est de permettre à ses membres d’exprimer leurs rêves. Cela peut se faire simplement en mettant en place des règles du jeu qui favorisent, l’expression, l’intelligence collective, la confiance dans un premier temps puis dans un second temps la solidarité, le partage et la recherche de progrès.
  • Niveau 3 — Engager : Permettre aux collaborateurs de l’entreprise d’exprimer et de réaliser certains de leurs rêves favorise l’engagement. Dans la structure où j’évolue, cela se traduit par une volonté du Président de donner la possibilité aux consultants de participer à des opérations ayant pour but de réduire la fracture numérique en Afrique. Le tout s’organise au travers d’une fondation adossée à l’entreprise dont le seul but est de permettre ces opérations. Les contributions et les bénévoles sont légions et reviennent transformés de leurs expéditions.
  • Niveau 4 — Pivoter sur un Business Model Éthique : Pour l’économie de l’expérience, j’ai parlé de « consom’acteurs ». Pour l’économie du sens, je dirais que la production de sens crée de la « motiv’action ». En effet, c’est bien l’appropriation du sens et l’engagement qu’on y fait qui déclenchent la satisfaction. Orienter son business model vers plus de sens , c’est engager son entreprise dans l’action de production de sens. Récemment, je discutais avec une Startup filiale d’EDF dont la proposition de valeur s’articule sur le calcul Haute performance et une offre Blockchain As a Service avec une approche éco-responsable. En effet, leurs datas centers sont fournis en électricité bas carbone pour réduire l’impact environnemental. Ça a été un pur plaisir que de voir l’engouement et la fierté de ce CEO mettre en avant son approche bas carbone. D’ailleurs, même si cela reste encore timide, même les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) s’y mettent.
  • Niveau 5 — Mettre l’entreprise au service du progrès de l’humanité. Pour ces entreprises cherchant à concilier activité économique et utilité sociale, l’impact sur l’homme est beaucoup plus fort que la recherche de profit. En France, l’économie sociale et solidaire représente 14% de l’emploi salarié privé (source : economie.gouv.fr). On observe d’ailleurs une très forte poussée du numérique solidaire avec l’utilisation d’outils digitaux innovants pour subvenir aux besoins des plus démunis. Le Crowdfunding (financement participatif) ou le Crowdsourcing (contribution d’internautes à des projets solidaires) constituent la base des initiatives de la Social Tech. Maintenant, elle se développe de façon exponentielle afin de toucher un grand nombre de personnes et faciliter le partage et l’accès à l’information. Handicap, collecte de dons, campagnes de financement, tri des déchets, accès à l’éducation, santé, agriculture responsable, défense des droits, les domaines d’applications sont nombreux.

QUID DE LA FILIÈRE INFORMATIQUE ?

Quelques chiffres pour poser la réflexion :

  • Frédéric Bordage indique dans ses articles sur www.greenIT.fr que fabriquer un ordinateur portable en Chine (pays à électricité fortement carbonée) émet 90 fois plus de gaz à effet de serre qu’un an d’utilisation en France (pays à énergie faiblement carbonée avec recours à l’énergie nucléaire)..
  • Selon l’US Environmental Protection Agency, 70% des métaux lourds présents dans les décharges américaines proviennent du matériel électronique qui s’y accumule.

Puisque l’on parle matériel, on peut se poser la question des actions à disposition des constructeurs pour avoir une attitude éco-responsable :

  • Tout d’abord, ils peuvent limiter ou éviter l’usage de métaux précieux et terres rares ce qui réduira de facto l’empreinte écologique.
  • Ensuite, il peuvent travailler à l’optimisation de l’impact des produits : par exemple, minimiser la consommation d’énergie d’une box Internet ou réduire l’empreinte carbone d’un data-center.

En ce qui concerne le logiciel, l’empreinte écologique bien que indirecte est importante. On va d’abord retrouver les éléments énergivores connexes tels que :

  • La consommation des supports
  • Les fonctions d’utilisation à distance
  • La virtualisation

On va aussi et surtout pouvoir agir sur la conception qui a impact direct sur le matériel nécessaire au bon fonctionnement du logiciel. Concevoir un logiciel responsable, cela signifie :

  • maximiser l’efficience du code afin de minimiser le temps d’utilisation et la quantité de ressources mise en œuvre pour rendre le service
  • restreindre le champ fonctionnel à son usage le plus strict
  • prévoir les évolutions et la pérennité des solutions dans le temps.

Agir sur la réduction de l’empreinte carbone amène des bénéfices sociétaux et environnementaux indéniables :

  • une toxicité moindre pour les consommateurs et les travailleurs
  • une réduction mécanique des coûts sur les systèmes de santé,
  • une diminution de la pollution des eaux et des sols et plus globalement de la planète.

Concrètement, des initiatives « green » et responsables intéressantes sont à noter :

  • « Green Code Lab » est un référentiel d’écoconception logiciel avec pour objectif la promotion dans le monde entier de l’éco-conception des logiciels, à l’aide d’un ensemble de méthodologies et de bonnes pratiques de développement.
  • « Tech for good », réseau d’entrepreneurs et d’investisseurs, développe et finance des solutions tech et digitales pour accélérer la transition vers une société plus durable et responsable.
  • « Les Designers éthiques » ont pour vocation de penser et concevoir des services numériques responsables et durables
  • L’AFNOR expérimente un dispositif d’évaluation du processus d’éco-conception des produits des entreprises
  • Le laboratoire d’innovation numérique de la CNIL crée un espace de réflexion autour de l’éthique, des libertés individuelles, des données et des usages du numérique
  • Le règlement européen sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en mai 2018, impose un principe de privacy by design (« confidentialité dès la conception »)
  • Soucieuse de réduire l’empreinte écologique des matériels informatiques, l’Union Européenne travaille sur trois axes qui couvrent toutes les étapes du cycle de vie des équipements électriques et électroniques: l’élimination des substances chimiques toxiques dès la conception, la réduction de la consommation électrique, et une gestion efficace de la fin de vie
  • L’Unesco créé un laboratoire mondial d’éthique portant sur l’éthique de l’environnement, l’éthique de la science et l’éthique de la technologie. Promesse est faite dans les mois qui viennent de proposer un cadre normatif sur une gestion raisonnée des données.

IMPACT SUR NOS MÉTIERS DE CONSULTANTS

Concrètement, nous pouvons observer des tendances personnelles de consultants, s’apparentant à des actes simples, qui veulent de plus en plus donner du sens à leurs productions.

Ainsi dans le monde du développement informatique, nombreux sont les développeurs, experts technique et architectes qui se posent la question des effets produits par le logiciel : fracture numérique (à savoir songer aux disparités d’accès au numérique dont internet), exclusion sociale ou encore impact sur l’environnement. On observe donc des tendances éthique et « green » dans le monde du développement.

Conception fonctionnelle

  • En terme d’empreinte écologique, la course aux attentes des utilisateurs conditionne la course aux ressources matérielles (basiquement ordinateur, tablette ou Smartphone) dont la fabrication, l’utilisation et la fin de vie ont un impact direct négatif sur l’environnement. L’effort de sensibilisation à la conception responsable doit favoriser la prise en compte des paramètres matériels par les développeurs de logiciels.
  • Toujours sur l’axe « Green », les agilistes et les designers sont sensibilisés au principe qui consiste à dire que 45% des fonctionnalités d’un logiciel ne sont jamais utilisées et 25% sont redondantes avec des applications existantes. Ainsi la culture du Fail fast et du Test and learn et l’approche User Centric contribuent au développement éco-responsable en limitant la couverture du logiciel aux fonctions clés. De la même façon, le TDD (Test Driven Development) s’avère particulièrement redoutable
  • Sur l’axe socio-éthique, par exemple, de plus en plus de Product Owner se posent la question du logiciel responsable, à savoir qui respecte l’environnement de l’homme : non exclusion d’une partie de la population, respect de la personne, etc. Cela peut amener des arbitrages sur certaines fonctionnalités ou certains choix d’ergonomie. De la même façon sur la prise en compte de l’exclusion, les designers sont tous sensibilisés à l’accessibilité

Design d’expérience

En ce 21ème siècle, nous sommes devenus dépendant de la technologie et de nos smartphones. Comme toute addiction, cela peut avoir des conséquences sur notre santé mentale, notre vie sociale et notre bien-être global. C’est ce qu’a transcrit Tristan Harris, ancien de chez Google, dans son article How Technology Hijacks People’s Minds. Or, le designer est responsable des parcours et des interfaces des applications dont le but est de proposer une expérience réussie (émotion, souvenir, personnalisation). Cette expérience réussie peut générer une captation abusive de l’attention et contribuer à cette addiction numérique. Ainsi, nombre de designers s‘interrogent sur leur responsabilité envers l‘humain. Là, où cela devient extrêmement compliqué c’est que les sociétés qui emploient ces designers ne s’orientent pas toutes vers des Business Models éthiques comme j’ai pu le préciser précédemment. En ce qui concerne le Design éthique, je vous invite à lire le très bon article de Julie Guillerm, UX Designer, Green is the new web.

Architecture applicative et conception technique

Du point de vue écologique, les architectures hexagonales ainsi que l’approche DDD (Domain Driven Development) respectent les fondamentaux du Lean en matière d’élimination du gaspillage. La conception pilotée par le domaine permet de se circonscrire aux besoins qui sont au cœur du domaine et donc une bonne isolation métier. L’architecture hexagonale, architecture de composants faiblement couplés modulaires et interchangeables, permet de faire du reengineering hyper facilement et de réagir au changement à moindre coût.

Développement et compilation

  • En matière d’implémentation, les bonnes pratiques de développement responsable s’articulent autour de :
  • la qualité du code
  • sa performance
  • sa consommation de ressources
  • sa consommation d’électricité
  • sa capacité à allonger la durée de vie active des équipements.
  • Pour les purs et durs, réduire son empreinte écologique en codant, c’est s’appuyer autant que possible sur les couches basses. Ainsi, plus on est proche du système d’exploitation, plus on est proche de la maximisation en matière d’optimisation énergétique. Savez-vous par exemple que depuis 10 ans, Facebook a divisé par 2 sa puissance de traitement en compilant son code PHP en C++. Les développeurs gardent ainsi la productivité liée à PHP tout en optimisant l’empreinte énergétique de façon stupéfiante :
  • deux fois moins de serveurs,
  • une consommation électrique réduite de moitié,
  • la possibilité d’utiliser plus longtemps le data center existant
  • L’attitude éco-responsable va jusqu’au choix du mode et du niveau de compilation. Ainsi, ajouter un interpréteur ne peut que pénaliser les performances.
  • En matière de fracture numérique, que ce soit pour les zones rurales ou les pays en voie de développement nombre d’architectes se posent de plus en plus la question de la couverture alors qu’on est à l’heure de la 5G. De la même façon, une prise de conscience que tous les terminaux mobile ou autres ne soient pas dernier cri, appelle à la responsabilisation.

Format de données

L’attention donnée aux formats de données est essentielle dans la consommation des ressources en matière de stockage, consommation CPU et RAM. Le choix d’un type de donnée hasardeux peut fortement impacter l’empreinte écologique.

Big Data et Intelligence artificielle

Ces deux disciplines sont des atouts indéniables pour contribuer au progrès de l’humanité avec des exemples dans la médecine préventive ou dans la prévention des accidents. Néanmoins, les dérapages sont également légions : utilisation abusive de données personnelles, profilage, biais algorithmiques avec pour conséquences discrimination ou réalité déformée, fausses information, etc. Des collectifs, des organisations, des gouvernements (RGPD, premier cadre législatif européen) s’organisent pour encadrer l’usage de la Data et de l’intelligence artificielle en privilégiant le respect de la vie privée et l’utilisation éthique de la data. La data éthique sera celle qui permettra de réconcilier propriétaires et utilisateurs de la data. En attendant, c’est à nous, consultants, de favoriser l’utilisation éthique et responsable de la data et de l’intelligence artificielle.

Hébergement

Plusieurs exemple permettent d’illustrer la corrélation de l’empreinte écologique entre le logiciel et le matériel. Ainsi, à titre d’exemple, bien proportionner les applications qui seront hébergées sur un data center hautement disponible constitue déjà un acte éco-responsable à part entière.

CONCLUSION

Être responsable, c’est avoir conscience de ces différents points, c’est contribuer à réduire l’empreinte écologique de l’humanité (gaspillage énergétique et des matières premières, pollution, émissions de gaz à effet de serre, pression sur l’eau douce, etc), c’est mener les actions permettant de diminuer la fracture sociale et enfin solutionner les phénomènes sociétaux d’exclusion. La lame de fond est là, le travail de conscientisation doit continuer de façon à ce que l’intelligence collective se mette en place et que l’impact sur l’homme et la nature soit avéré.

D’ailleurs, nous vivons actuellement une crise sanitaire sans précédent à l’échelle planétaire. Aussi, la crise du Covid-19 peut-elle accélérer cet éveil de nos consciences ? En France, par exemple, cette situation inédite a déclenché une vague d’empathie et même de sympathie envers les petits producteurs, les salariés présents dans la grande distribution et les professionnels de santé. L’inconscient collectif voit le virus comme un énième avertissement de la nature.

  • S’agit-il d’un sursaut ou d’une conscientisation profonde et durable ?
  • La pandémie va-t-elle contribuer à marquer définitivement l’entrée de plain-pied dans l’économie du sens ?
  • Cette crise sanitaire planétaire va-t-elle contribuer à l’accélération de l’engagement de chacun d’entre-nous pour donner sens aux 3 fondamentaux : le bien-être de l’humanité, le raffermissement des liens sociaux entre les populations, le respect de l’environnement ?
  • Nos cerveaux reptiliens, cortex et limbiques réunis vont-ils permettre de repositionner nos besoins de façon plus responsables ?

L’avenir nous le dira.

‘Il n’y a pas de propositions éthiques, il n’y a que des actes éthiques’
Ludwig Wittgenstein