Le travail en équipe est une activité récurrente dans notre métier. Si vous avez quelques projets à votre compteur vous devez savoir que le fait de rassembler de bons individus ne forme pas nécessairement une bonne équipe (inutile d’aller en Afrique du sud pour faire cette démonstration). Mais alors comment constituer ou reconnaître une bonne équipe ? Le professeur Yves Enrègle (spécialiste de la sociologie des organisations) nous livre un modèle original pour constituer la bonne équipe et ce modèle c’est le village d’Astérix. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il s’agit d’une modélisation très sérieuse issue d’observations poussées dans le domaine du management d’entreprise. Dans ce modèle, cinq des plus célèbres habitants du village gaulois définissent des archétypes pour chaque membre de l’équipe. Les projets informatiques que nous menons sont assez analogues à de petites entreprise, dès lors, il parait intéressant de voir comment ce modèle s’applique à nos équipes projet. Voici donc une libre adaptation de ce modèle au monde de l’IT.
A tout seigneur tout honneur, commençons par le guide (G). Le guide dispose d’une capacité à analyser l’environnement, ses tendances, les menaces, les opportunités. Il en déduit les objectifs à atteindre, il sait ce qu’il faut faire mais ne sait pas le faire lui-même. Dans le village gaulois, c’est Astérix. Dans votre projet c’est peut être un chef de projet fonctionnel connaissant bien le métier de l’application cible (ou un product owner avisé si vous êtes en mode agile). On remarquera que le guide n’a pas la capacité à produire et ne dispose pas forcément d’une position hiérarchique supérieure à celle des autres membres de l’équipe. Pour ma part je n’ai pas rencontré beaucoup d’Astérix dans ma carrière, mais les 2 ou 3 que j’ai côtoyés me permettent d’affirmer que ce profil existe et quand on en tient un, il ne faut pas le lâcher !
Continuons avec le réalisateur (R). Ce qui le caractérise, c’est sa capacité d’action. Il fait preuve d’expertise, de compétence, de savoir, de savoir-faire. C’est quelqu’un d’énergique, de dynamique, qui inspire confiance et plaisir. Il sait tout faire, mais ne sait pas ce qu’il faut faire, il aime l’action pour l’action et présente une forte inertie au changement. Dans le village, vous l’aurez reconnu, c’est **Obélix. **Et dans notre projet informatique ? C’est clairement le développeur (C’est ici que je vais me faire des amis). Une bonne équipe de développement n’est pas si rare qua ça, j’en ai croisée bien plus que de mauvaises. Quant aux mauvaises, elles le sont souvent à cause d’une minorité qui pose des problèmes au groupe. Pour être plus détaillé, il faudrait qu’on invente un modèle dans le modèle pour explorer les différentes personnalités d’Obélix. N’ayant pas d’expertise en sociologie ou en psychiatrie je ne m’aventurerai pas sur ce terrain. Disons que nos développeurs forment une équipe d’Obélix et que celle-ci est suffisamment soudée pour former un tout homogène (et personne dans le groupe n’est gros).
G et R sont indissociables. Peut on imaginer Astérix sans Obélix ? Plus sérieusement, Yves Enrègle estime que pour 84 % des équipes en échec, il s’agit d’une mauvaise articulation entre G et R.
G est instable, il observe le monde, ses changements et fait sans cesse de nouvelles propositions, c’est son côté proche du marché et des utilisateurs finaux qui exacerbe cette instabilité. De plus, le déséquilibre du travail entre G et **R, **l’incapacité pour R de comprendre tous les enjeux métiers et réciproquement celle de G à comprendre les conséquences de ses décisions sur le travail de R, avive les tensions. Ca vous rappelle quelque chose, un sentiment de déjà vu peut être ?
Quoiqu’il en soit, ces deux là ont souvent besoin d’un troisième acteur pour cordonner et organiser leur relations. C’est l’Organisateur (O). Dans l’absolu, celui-ci devrait avoir une position hiérarchique au dessus de G et R pour que ces derniers acceptent ses arbitrages. Dans la pratique (et notre cas) cet ascendant peut être décidé de manière artificielle et explicite en début de projet tant que G et R acceptent les règles du jeu. Dans le village d’Astérix ce rôle est rempli par Abraraccourcix. Dans le cadre de notre projet IT, ce rôle peut être tenu par plusieurs types de personnes. Ca peut déjà être un chef de projet technique, pour peu qu’il soit suffisamment costaud pour s’opposer à G et ai suffisamment de légitimité pour assurer un bon leadership sur R (dérider un Obélix qui boude n’est pas donné au premier venu). Dans le cas d’un projet agile, un Scrum Master aguerrit peut également remplir ce rôle. La bonne nouvelle c’est que le rôle de O devient optionnel si G et R s’entendent bien. Pour ma part c’est ce dernier cas de figure que j’ai rencontré sur les projets qui marchait bien : le métier et la production travaillant main dans la main (ou presque) et dans un respect mutuel sans besoin d’un tiers en permanence.
Astérix, Obélix et Abraraccourcix peuvent avoir besoin, en cas de difficulté, d’un Mobilisateur (M), capable de rassembler autour de lui soit par un phénomène de séduction soit par une expertise rare voire détenue de lui seul. Ce Mobilisateur c’est Panoramix, le druide du village gaulois.
Selon le cas de figure M sera là pour remettre O en selle (opération charismatique pour remettre tout le monde d’accord) ou permettre au couple G & R de sortir d’une situation de blocage par une expertise métier ou technique.
M est là pour remettre l’équipe en selle. Il est indispensable mais de façon ponctuelle. Une fois sa tâche remplie, son éloignement renforce son pouvoir de séduction ou son image d’expert. Pour notre projet IT, ce Mobilisateur sera soit un membre de la direction avec une vision stratégique pertinente allant au delà de celle de G, soit un expert métier hyper pointu qui apporte la solution à une incompréhension, soit un expert technique (pas forcément barbu mais il paraît que ça aide) qui va donner la clé d’un problème qui semblait insoluble dans les développements. J’ai parfois vu ce genre de profil intervenir sur un projet et changer la donne par une intervention très courte. C’est un phénomène toujours impressionnant.
Le dernier profil est sûrement celui qui me plait le plus. Il s’agit du Mobilisateur Négatif (M-). On le devine, son rôle est de faire l’unanimité contre lui et par là même ressouder le groupe et cas de problème et de dissension. Dans le village gaulois, c’est Assurancetourix. Je pense que là, un certain nombre d’images de vos derniers projets vous reviennent en tête pour retrouver qui a pu jouer ce rôle… Sa présence n’est pas indispensable mais peut en dernier recours faire office d’exutoire pour l’agressivité du groupe. Ce mobilisateur, dans la vraie vie, peut être n’importe quel gratte papier n’ayant aucun intérêt pour le projet mais prenant un malin plaisir à semer des obstacles sur son chemin (non je n’ai pas parlé de service des achats). Il peut également être un membre du management qui dispose d’un pouvoir de nuisance secondaire sur le projet (un “control freak” par exemple qui veut tout contrôler parce qu’il en a le droit et ralenti tout le monde). Notez cependant que si ce mobilisateur négatif est présent en permanence sur le projet et qu’il est trop difficile à contourner, le projet est probablement voué à l’échec sauf si vous trouvez un chevalier blanc via O ou un **M plus fort que votre M-. **J’ai un vécu pas si vieux que ça sur le sujet ou rien n’a pu être fait : un vrai désastre.
Pour conclure, ces profils existent rarement à l’état brut. Nous sommes tous un mix de tout ça. Pour vous donner une idée (et vous situer vous même) disons que parmi les personnes rencontrées, celles qui ont un profil R & G sont rares. Celles qui disposent d’un profil O & M le sont encore plus. Les profils les plus fréquents sont R & O ou bien G & M, qui sont très complémentaires. 68 % des équipes qui gagnent sont dirigées par des duos R & O et **G **& **M **(soit un mélange Obélix / Abraraccourcix associé au mix Astérix / Panoramix).
Pour conclure, Yves Enrègle qualifie les G & M de “fou” ou dans un langage plus correct de leader, les R & O bénéficiant eux du qualificatif de “lourdingue” ou de manager.
Et vous où vous situez-vous ? Pensez vous que ce modèle est pertinent pour les projet IT ?
Remerciement* :*
- Merci à Sophie qui a eu la chance suivre les cours du Pr Enrègle à l’ESSEC et qui m’a fait connaître ce modèle
- Merci à Lise et l’article sur son blog dont je me suis beaucoup inspiré pour décrire ce modèle à ma sauce.