Le 14 novembre 2013 avait lieu l’Agile Tour à Nantes. L’un des ateliers au programme a particulièrement retenu mon attention : Vous rêvez de travailler en harmonie avec vos collègues ? Venez expérimenter la CNV, elle pourrait changer votre relation aux autres ! Il faut dire que l’atelier en question proposait de faire du jeu de rôle, alors j’ai pris mon set de dés et une fiche de paladin-roublard elfe pensé que ce serait d’autant plus intéressant que l’on serait mis en situation. L’atelier était animé par Patrice Boisieau, coach agile, et Anne Rivalland, spécialiste de la CNV (Communication Non Violente).
Déroulement de l’atelier
Nous avons utilisé pour cette introduction à la CNV la technique du théâtre-forum. Par groupes de quatre, nous avons sélectionné une expérience vécue de situation conflictuelle. Puis deux personnes ont joué une première fois cette situation telle qu’elle s’est déroulée. Ensuite, la même situation a été rejouée, mais cette fois les spectateurs pouvaient prendre à tout moment la place de l’un des acteurs pour modifier le déroulement de la scénette, et ce pendant plusieurs itérations jusqu’à parvenir à un déroulement plus convenable pour les deux parties. La même chose a ensuite été réalisée par l’ensemble du groupe sur l’une des situations précédentes.
La situation en question était un dialogue entre un chef de projet et son client, le client demandant un détail de documentation qui semblait inutile au chef de projet. Lors du jeu de rôle en grand groupe, nous avons constaté une cassure dans le déroulement des évènements au moment où le client a avoué son stress et son besoin d’être rassuré : alors que le dialogue piétinait jusque-là, chacun restant sur ses opinions, et ce malgré les arguments logiques donnés de part et d’autre, la discussion est devenue plus apaisée et constructive.
Lors du debriefing en groupe, nous avons pu voir en quoi consiste la CNV et en discuter.
Comment communiquer sans violence ?
L’approche de la CNV consiste à ne pas se couper de ses sentiments. C’est quelque chose qui n’est pas spontané, en particulier en entreprise, car nous apprenons à rester factuels, et nous croyons nous détourner des faits quand nous parlons de nos sentiments. Or, c’est tout l’inverse ! Ce que nous prenons pour des faits ne sont généralement que des opinions. Au contraire, quand nous énonçons nos propres sentiments, nous ne pouvons être plus dans les faits. Si je dis que je suis stressée quand je n’arrive pas à terminer ma tâche dans le temps qui m’a été alloué, rien ne peut être contesté dans cette assertion, à moins de me traiter de menteuse. Par contre, si je dis à mon chef de projet qu’il me met la pression avec ses estimations délirantes, il ne s’agit plus de faits objectifs. Peut-être qu’il ne cherche pas à me mettre la pression, mais simplement qu’il s’est trompé sur la difficulté de la tâche ou sur mes compétences.
En CNV, on considère qu’un sentiment est un indicateur concernant un besoin, satisfait ou non. S’il est nécessaire de se centrer sur ses sentiments, c’est parce que cela permet d’extraire ce besoin et de l’exprimer. Un besoin est quelque chose qui est centré sur soi, qui nous responsabilise. Ce n’est pas quelque chose qui est tourné vers son interlocuteur. Par exemple, “j’ai besoin que ton équipe écrive le détail des algorithmes dans la documentation” n’est pas un véritable besoin au sens de la CNV. Le besoin réel, celui qui s’est exprimé après le sentiment de stress, c’est d’être rassuré sur la qualité du code fourni.
Dans une communication ordinaire, nous restons à un niveau très cérébral : nous désirons quelque chose, et nous la demandons à la personne concernée. Si cette personne refuse, nous insistons en cherchant des arguments pour la convaincre. En général, nous en venons vite à parler non pas de nous et de nos besoins, mais de notre interlocuteur (en utilisant le pronom “tu” à la place du “je”), ce qui est perçu comme bien plus agressif. Or, un interlocuteur qui ne se sent pas respecté est bien moins enclin à nous répondre favorablement.
Une demande non violente part d’une observation factuelle, une expression de nos sentiments que l’on relie à un besoin. En voici un exemple très parlant sur le blog “Communiquer vrai”. Cette manière de présenter les choses induit bien plus facilement de la coopération. C’est une forme de communication qui prend plus de temps, car elle nécessite de se relier à ses émotions. On estime que 95% du processus consistera à s’accorder sur ses sentiments et besoins, et seulement 5% pour trouver une solution commune. Mais c’est également un moyen d’avoir des interactions plus authentiques et satisfaisantes.
CNV et agilité
Les individus et leurs interactions, plus que les processus et les outils. On ne peut pas nier que la CNV est liée à la première des valeurs agiles.
A la racine des problèmes dans une équipe, on trouve souvent un besoin qui est considéré comme non respecté. La CNV permet de mettre en lumière ce besoin (reconnaissance, coopération, compréhension, sens, liberté…) et de faire avancer l’équipe dans le respect de chaque individu. Un moyen pouvant être mis en œuvre lors des rétrospectives agiles est de faire un premier tour de table pour que chacun énumère les problèmes rencontrés, sans proposer de solution. Voici deux outils agiles qui s’inspirent de la CNV :
La rétrospective OSBD
Cette rétrospective se déroule en quatre étapes.
- L’Observation factuelle : sur une ligne de temps, on indique les événements qui ont marqué le sprint. On se borne aux faits : coupure réseau, absence d’un membre de l’équipe, mise en place d’un nouveau processus d’intégration continue…
- La ligne de Sentiment : sous cette ligne de temps, chaque membre de l’équipe dessine une ligne correspondant à son ressenti. Le tracé sera haut s’il correspond à un sentiment positif, et bas pour un ressenti négatif. On pourra alors constater que tout le monde n’a pas le même.
- On reprend alors les valeurs de l’équipe. On peut pour cela utiliser la métaphore de l’arbre, dont les racines sont les principes et les fruits ce que l’on veut obtenir. Il est important que l’équipe soit synchronisée sur ces valeurs, car chacune correspond à un Besoin. Cela permet de prendre conscience des besoins qui ne sont pas assouvis, en lien avec les lignes de ressenti, et donc de ce qui ne va pas.
- Une fois les problèmes identifiés, on passe alors à la Demande : la mise en place des actions qui corrigent ces problèmes.
La chaise chaude
Il s’agit d’une méthode de résolution des conflits que Patrice Boisieau n’a pas eu le temps de nous présenter.
Dans cette méthode, chaque membre de l’équipe prépare pour chaque autre membre : le point sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas dans leur relation, une demande, et ce qu’il est prêt à faire pour l’aider. Dans un deuxième temps, chaque membre de l’équipe s’assoit sur la “chaise chaude” et écoute, sans répondre, les demandes préparées pour lui par les autres membres de l’équipe. Un temps de réflexion est ensuite aménagé pour que chacun puisse réfléchir à ce qu’il a entendu et décider de sa réponse. Chaque membre de l’équipe passe ensuite sur la “chaise chaude”, mais cette fois, c’est lui qui parle, pour répondre à chacune des demandes qui lui a été formulée.
Pour aller plus loin…
La CNV ne sert pas seulement à faciliter les relations au travail dans le cadre de méthodes agiles. Communiquer sans violence, c’est utile même quand on n’utilise pas les méthodes agiles, pour éviter les relations conflictuelles souvent générées par une communication trop agressive, ainsi que le dérapage vers le harcèlement moral qui n’est jamais très loin. Et une fois sorti du bureau, cela facilite les relations harmonieuses avec son conjoint, ses enfants… D’ailleurs, Anne Rivallant, animatrice de l’atelier, forme à la CNV des professionnels de l’éducation.
Voici quelques livres qui nous ont été conseillés :
- Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) de Marshall Rosenberg, qui est l’ouvrage de référence concernant la CNV
- Quand la girafe danse avec le chacal de Serena Rust
- Cessez d’être gentil soyez vrai de Thomas d’ Ansembourg
Si les principes sont aisés, la mise en pratique est plus difficile car nous devons lutter contre nos habitudes. Il faut des années pour apprendre à communiquer sans violence. Terminons avec cette citation d’Ike Lasater (Guide pratique de la Communication Non Violente, 2011) : “La CNV n’a pas pour envergure de modifier votre manière de parler mais bien de modifier la manière dont vous envisagez le monde !”